Le monde se trouve aujourd’hui à une jonction historique, deux superpuissances se disputent le leadership mondial en termes de Hard Power et de Soft Power. L’émergence de l’Intelligence Artificielle et l’essor des nouvelles technologies telle que l’informatique quantique ont accentué ces tensions bilatérales qui fractionnent le monde en un morcellement d’entités évoluant dans une jungle hobbesienne, où le droit international devient obsolète.
Piège de Thucydide
« Seuls ceux qui n’apprennent rien de l’histoire sont condamnés à la répéter » George Santanaya
« Laissez donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s’éveillera le monde entier tremblera » Napoléon, 1817
La guerre du Péloponnèse, au 5ème siècle, avant notre ère, la Cité-Etat d’Athènes défie la puissance grecque dominante de l’époque, la Cité-Etat guerrière de Sparte. Quand une menace ascendante menace de supplanter une puissance établie, quelles que soient ses intentions, il en résulte une telle tension structurelle que le conflit violent devient la règle, non l’exception.
On retrouve la même dynamique dans d’autres situations, y compris dans le cadre familial. Chez les espèces dirigées par un mâle dominant, comme les gorilles, quand un successeur potentiel gagne en force et en poids, le mâle à la tête du groupe et son nouveau rival savent que l’affrontement est inévitable.
L’essor brutal de la Chine constitue, au vu de l’équilibre des pouvoirs, l’évolution tectonique la plus rapide de l’histoire. Si les Etats-Unis étaient une grande entreprise, ils auraient à eux seuls 50% du marché économique mondial dans les années suivant la Seconde Guerre mondiale. En 1980, cette part est tombée à 22%. Après trois décennies d’une croissance chinoise à deux chiffres, elle se situe aujourd’hui autour de 16%.
Dans le livre de Samuel Huntington « le choc des civilisations », qui retrace une disjonction historique au terme de laquelle les valeurs et les traditions chinoises et américaines, fondamentalement différentes, rendent plus improbable encore un rapprochement entre ces deux puissances.
Le fondateur de Singapour, Lee Kuan Yew décrit l’impact de la mutation de la Chine sur le monde, en ces termes, que « le monde devra trouver un nouvel équilibre lorsque la Chine se transformera. Il serait illusoire de penser que le monde compte désormais une grande puissance de la plus. La Chine est le plus grand protagoniste de l’histoire mondiale. »
Aujourd’hui, la productivité des travailleurs chinois ne représente que 25% de celle de leurs homologues américains. Si ce rapport passe à 50% au cours des dix ou vingt ans à venir, l’économie chinoise pèsera deux fois l’économie américaine. S’il atteint 100%, c’est-à-dire si les travailleurs chinois se montrent aussi productifs que leurs homologues américains, alors l’économie chinoise pèsera quatre fois l’économie américaine.
La Chine par rapport aux Etats-Unis | ||
1980 | 2015 | |
PIB | 7% | 61% |
Importations | 8% | 73% |
Exportations | 8% | 151% |
Réserves | 16% | 3140% |
Source : Banque mondiale
Chine : première puissance mondiale en devenir
« Après avoir mené pendant dix ans deux guerres qui nous ont beaucoup coûté, en vies humaines comme en ressources financières, les Etats-Unis entendent tourner leur attention vers l’immense potentiel de la région Asie-Pacifique » Barack Obama
Le basculement thalassocratique de la Chine qu’elle soit économique et navale. Entre 2008 et 2030, le réarmement naval de la Chine sera de +138%. La marine chinoise dépasse déjà la marine américaine quant au nombre de bâtiments et devrait aligner 450 unités contre 360 aux Etats-Unis à l’horizon 2030. A cette flotte s’ajoutent les garde-côtes armés de 1.000 navires et la milice maritime composée des bâtiments de la marine marchande utilisés à des fins de renseignement ou d’action hybride.
Par ailleurs, Pékin veut transformer la mer de Chine en lac chinois, mais cela peut modifier le cours de la mondialisation qu’elle a bénéficiée depuis 1979. Son révisionnisme juridique se matérialise par la militarisation d’îlots contestés et des opérations navales destinées à créer des faits accomplis. Il existe deux grilles de lectures des intentions chinoises. La première grille de lecture concerne une annexion comme une manière d’assurer une navigation plus discrète dans la zone et d’installer de nouvelles bases sur la côte orientale de l’île, à l’ouvert du Pacifique. La seconde interprétation envisage que la Chine construit un bastion pour écarter toute menace sur sa flotte en militarisant les archipels afin de finir par interdire le détroit de Taiwan aux navires de guerre étrangers.
Depuis 2015, la « Force des missiles de l’Armée populaire de libération », mise en place par Xi Jinping, a pour mission de conduire des frappes conventionnelles et nucléaires. Elle combine ainsi deux logiques : la première basée sur le postulat de l’emploi et de l’efficacité militaire, la seconde fondée sur le principe du non-emploi et de l’effet politique. Le développement par la Chine et la Russie de missiles hypervéloces (vitesse supérieure à Mach 5) augmente ce risque dans la mesure où ils entretiennent une ambiguïté sur la cible visée, ainsi que sur la charge embarquée (conventionnelle ou nucléaire).
La Chine investit massivement dans le nucléaire. Avec 410 têtes, la Chine se situe loin de la Russie et des Etats-Unis en termes quantitatifs, qui comptent respectivement 5.889 et 5.244 têtes en 2022. Cependant, elle accélère l’augmentation de son arsenal qui devrait atteindre le millier de têtes à l’horizon 2030. En juillet 2021, des images satellites révèlent la construction de deux sites de silos supplémentaires pour accueillir des missiles nucléaires dans la profondeur stratégique du territoire, c’est-à-dire loin des côtes : le premier près de Yumen dans la province de Gansu (120 missiles), le second près de Hami dans la province du Xinjiang (110 missiles). Avec des constructions, la Chine multiplie par 10 sa capacité de missiles intercontinentaux. De même, la Chine est le seul membre permanent du Conseil de sécurité à continuer de produire des matières fissiles à des fins militaires. Un expert chinois confirme cette orientation en soulignant la position risquée de son pays face « aux Etats-Unis qui ont construit un système militaire supérieur à celui de la Chine ».
Par ailleurs, la Chine investit massivement dans le quantique et l’IA. Sur le plan stratégique, son objectif consiste à faire prendre conscience aux autres de ses capacités de combiner des effets nucléaires et conventionnels, démultipliés ou modulés par sa maitrise de l’Intelligence Artificielle et de l’hypervélocité. Elle fait un choix de la haute technologie pour se placer dans un rapport de parité avec les Etats-Unis, et eux-seuls. Sur le plan opérationnel, augmenter les silos terrestres, les vecteurs navals, aériens et spatiaux multiplie les combinaisons possibles de postures offensives et défensives.
Guerre commerciale mondiale
Désormais, la marche du monde, le commerce entre nations ne sont plus qu’une question de rapports de force. Le mercredi 2 avril 2025, Donald Trump a plongé le monde dans un chaos inédit, avec le déploiement massif de taxes aux frontières des Etats-Unis, commettant, pour beaucoup, une immense faute.
La bourse de Wall Street, s’est effondrée, brûlant 10% de sa valeur. Une hémorragie financière de 5.969 milliards de dollars. Une somme importante, équivalent de deux fois le PIB annuel de la France.
Selon les calculs américains, l’UE taxe les exportations américaines d’environ 39%. Donald Trump prévoit de ponctionner l’Europe d’environ 20%. Adoptant une vision mercantiliste datant du 16ème siècle. Cependant, depuis David Riccardo, on sait que ce n’est pas vrai. Le commerce est un jeu à somme positive, où tout le monde peut y gagner. Le chef de l’Etat américain s’autoproclame « TarrifMan ».
On peut observer une forme d’hubris à l’origine de ces décisions. Une hubris qui exploite le déclin relatif des Etats-Unis, mais qui, en réalité, exagère leurs pouvoirs. Donald agit comme un prédateur. Ce n’est pas avec des politiques commerciales déloyales, et en accusant le reste du monde d’être responsable des souffrances des Américains, qu’il apaisera la rage de ceux qui ont été laissés pour compte par la mondialisation.
Les droits de douane prohibitifs imposés par Donald Trump sont un summum d’absurdité économique : censés rendre à l’Amérique sa grandeur, ils vont au contraire affaiblir sa compétitivité et saper, à terme, sa domination sur l’économie mondiale. Les mesures américaines sont douloureuses pour l’économie chinoise. En effet, l’Empire du milieu doit s’acquitter de droits de douane exorbitants, de plus de 60% au total, pour accéder au principal marché de consommateurs du monde. Ces tarifs portent un préjudice grave à son économie, en grande partie tournée vers l’export. Afin de pallier à cette difficulté, elle va réorienter son commerce vers d’autres destinations et en premier lieu vers l’Union européenne, deuxième marché mondial par la taille. Et elle va pouvoir aussi utiliser le poids de son propre marché intérieur de 1,4 milliard de consommateurs pour se faire de nouveaux amis parmi les pays qui, comme elle, peineront à vendre leurs biens et services aux Etats-Unis.
Cependant, le vrai gain pour la Chine est politique. Face à une Amérique trumpienne au comportement imprévisible et prédateur, la Chine apparait par contraste comme la seule grande puissance bienveillante, stable, favorable aux affaires et à la poursuite de la mondialisation. Les alliés des Etats-Unis dans la zone Asie-Pacifique, du Japon à la Corée du Sud en passant par l’Australie et les Philippines, perdent confiance dans leur protecteur, qui les traite comme des parasites. Ils n’ont guère d’autre choix que de miser sur l’apaisement et le compromis avec le géant chinois.
En taxant indistinctement alliés et adversaires, Trump a enterré la politique appliquée pendant son premier mandat (2017-2021), reprise par Joe Biden ensuite, qui consistait à renforcer les liens avec les Etats amis en Asie et à favoriser la relocalisation des chaînes de valeur chez eux. Da facto, l’Europe est fracturée, Xi Jinping en profite pour avancer ses pions et le conforter dans le fait que Donald Trump ne fait qu’accélérer la décadence de l’Occident.