Vladislav Sourkov, maitre à penser du Kremlin, a mis dix ans pour construire le système politique poutinien. Surnommé le mage du Kremlin, il représente l’éminence grise de Vladimir Poutine, sur la voie à suivre pour étendre la sphère d’influence russe dans le monde. Erudit, et théoricien hors pair, il fascine ses contemporains autant pour sa discrétion que pour son génie.
Portrait du mage du Kremlin
« L’homme est condamné à être libre » Jean-Paul Sartre
Vladislav Sourkov, personnage le plus mystérieux de Russie, est avant tout un serviteur de l’Etat russe, pour lequel il a conçu un système de fonctionnement avec, à sa tête, un tsar dont, il en est persuadé, la Russie a besoin. In fine, il est l’homme qui a fabriqué Vladimir Poutine, qui poursuit son agenda et pense le temps long.
Son itinéraire retrace une ascension fulgurante, qui débute dans le chaos de l’effondrement de l’Union Soviétique. Dans les années 1980, dans un club de boxe. L’entraineur le remarque et le recommande comme garde du corps à Mikhail Khordorkovski, fondateur de l’une des premières banques privées d’URSS. Ainsi, Vladislav Sourkov gravit rapidement les échelons jusqu’à se retrouver en charge des relations publiques de l’entreprise. En 1999, alors que Sourkov travaille à la télévision d’Etat russe, Alexandre Volochine, le directeur de l’administration présidentielle, l’invite à rejoindre le Kremlin comme conseiller.
Quelques mois plus tard, Poutine est élu président. Pour installer le successeur désigné de Boris Eltsine, Sourkov lui crée un parti politique sur mesure, Russie unie, et lui fournit un arsenal idéologique. Vladislav Sourkov est un inventeur de concepts : la « verticale du pouvoir », selon laquelle tout l’Etat russe est soumis à son président ; la « démocratie souveraine », un euphémisme pour désigner un système autoritaire dans lequel la stabilité de l’Etat prime sur la liberté de l’individu ; « l’opposition systémique », qui consiste à laisser quelques partis mener un semblant d’activisme politique, à condition que la mainmise du maître du Kremlin ne soit jamais remise en question ; le « monde russe », sphère d’influence de Moscou aux frontières élastiques ; le « peuple profond », avec lequel le chef de l’Etat entretiendrait un lien direct, proche du sacré… Ces principes assemblés dessinent une idéologie politique, que Vladislav Sourkov lui-même appelle le « poutinisme ».
Doctrine politique de Sourkov
Sourkov a bâti une idéologie officielle sur la base du concept de « monde russe », qui existait déjà dans les cercles philosophiques. Le monde russe n’a pas de frontières. Le monde russe est partout où l’on trouve une influence russe, sous une forme ou une autre : culturelle, informationnelle, militaire, économique, idéologique ou humanitaire… C’est-à-dire qu’il est partout. L’importance de son influence varie fortement selon les régions, mais elle n’est jamais nulle. La Russie s’étendra donc dans toutes les directions, aussi loin que Dieu le voudra et la Russie en aura la force. Selon Sourkov, l’Ukraine est une entité politique artificielle, dans laquelle au moins trois régions très différentes ont été fourrées de force : le Sud et l’Est, russes ; le Centre, russo-non russe ; et l’Ouest, antirusse. La guerre en Ukraine permettra de séparer le Russe et l’anti-Russe.
Démocratie à archétype monarchique : il n’existe pas de système politique idéal, tout modèle a des vulnérabilités. Le modèle russe, comme tous les autres, comporte des risques qui lui sont propres et des codes d’autodestruction. C’est simplement le modèle le plus efficace pour la Russie. Sourkov a mis dix ans à le construire et il fonctionne maintenant. La Russie a besoin d’un tsar. Les périodes sans tsar finissent toujours en catastrophe pour la Russie. La multipolarité est bonne en politique étrangère, pas en politique intérieure.
La projection du chaos à l’extérieur est la seule manière pour la Russie de mettre fin au désordre interne. Dans les Démons de Dostoeivski, Stavroguine, qui dirige un groupe nihiliste, proclame : « Nous allumerons des incendies, nous répandrons des légendes ». Voilà ce que font Poutine et Sourkov depuis vingt-cinq ans.
« Nord Global »
L’UE a été fondée en 1992, immédiatement après l’effondrement de l’URSS. Maintenant, l’Europe doit décider si elle est un Etat ou non. Les pays membres ont délégué leur souveraineté à l’UE, mais pas entièrement. Résultat, ni l’UE ni ses membres ne sont entièrement souverains. Il faut sortir de cet entre-deux précaire, soit en revenant à l’état antérieur d’une communauté purement économique, soit en faisant un pas décisif vers une fédération souveraine.
Le « Nord Global », concept créé par Sourkov, regroupant les Etats-Unis, l’Europe et la Russie en un seul espace socioculturel, sur la base de l’histoire commune et des origines chrétiennes. Sourkov peut être considéré comme un visionnaire selon certains, qui tente de dépasser la conjoncture actuelle et considère cette guerre comme une étape permettant à la Russie de corriger le déséquilibre de l’après-guerre-froide, de s’ériger face à l’Occident comme un égal, pour mieux reprendre le cours naturel des choses. De facto, Sourkov chercherait à ne pas perdre de vue le long terme et le sens profond de l’histoire qui, selon lui, doit imposer la Russie comme l’un des trois grands pôles de l’hémisphère nord, liés par les mêmes bases civilisationnelles et un destin commun.