« Si vous n’êtes que réaliste, vous deviendrez prosaïque, plébéien, et vous échouerez. Il faut que vous soyez capable de vous élever au-dessus de la réalité et de dire : « ça aussi, c’est possible », Lee Kuan Yew a laissé son empreinte en tant que dirigeant visionnaire dans le monde. Armé de sa volonté, de son ambition et de sa droiture ; il a permis à une île exsangue économiquement au sortir de la colonisation britannique, à devenir un modèle international de réussite, en misant seulement sur sa principale ressource : la qualité de sa population.
Lee Kuan Yew est né en septembre 1923, environ un siècle après que Sir Stamford Raffles, lieutenant et gouverneur de la colonie britannique de Sumatra avait établi un comptoir sur la petite île voisine du détroit de Malacca que la population locale appelait « Singa Pura », « Ville Lion » en sanscrit.
Fondé par Raffles en 1819, Singapour était considéré comme un élément de la « Farther India » ou « ultrindia » et était, en tant que tel, théoriquement gouverné depuis Calcutta. Toutefois, les limites de la technologie de l’information de l’époque laissaient une importante marge de manœuvre aux administrateurs coloniaux établis sur place.
Déclaré port libre par Londres, et bénéficiant des ressources naturelles exportées depuis le continent malais, ce nouvel avant-poste se développa rapidement attirant les négociants et les coureurs de fortune de toute l’Asie du Sud-Est et au-delà.
A partir de 1867, Singapour fut placé sous la juridiction directe du colonial office de Londres en tant que colonie de la couronne. Dans les années 1920, la péninsule malaise produisait environ la moitié du caoutchouc mondial et du tiers de l’étain, exportant ces deux produits via le port de Singapour. Mais en 1921, l’Amirauté avait commencé à s’inquiéter de la puissance croissante du Japon et avait décidé de construire une base navale à Singapour, dont elle comptait faire « le Gibraltar de l’Orient ».
Lee Kuan Yew, a douze ans lorsqu’il acheva sa scolarité primaire en tête de sa classe, ce qui lui permit d’être admis à la Raffles Institution, parmi les 150 meilleurs élèves de toutes les ethnies et de toutes les classes sociales de Singapour et de la péninsule malaise exclusivement sélectionnés par le mérite. Ces années de guerre lui apprirent que la « la clé de la survie était l’improvisation », une leçon qui influencerait son approche pragmatique et expérimentale du gouvernement de Singapour.
Le rêve Singapourien
« Laissons la chine dormir. Car quand elle se réveillera, le monde tremblera » Napoléon
La principale ressource de Singapour est la qualité de sa population, dont le potentiel ne pourrait s’épanouir que si on ne la condamnait pas à subir l’insurrection communiste, l’invasion étrangère ou l’hégémonie chinoise.
Singapour est une île paludéenne au large de la pointe la plus australe de la péninsule malaise, qui devint en l’espace d’une seule génération le pays le plus riche d’Asie en revenu par habitant et le centre commercial de facto de l’Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, d’après toutes les mesures du bien-être humain, Singapour se place dans le centile supérieur. Dans la lutte de Singapour pour s’affirmer et survivre en tant que nation, politiques intérieure et extérieure devaient se combiner étroitement. Trois conditions étaient préalables notamment :
- Une croissance économique permettant d’assurer la subsistance de la population.
- Une cohésion intérieure suffisante pour permettre une politique à long terme.
- Une politique étrangère assez habile pour louvoyer avec succès entre des géants internationaux comme la Russie et la Chine et des voisins envieux comme la Malaisie et l’Indonésie.
Le mantra de Lee Kuan Yew était l’excellence. Dans son esprit, l’excellence dépassait de loin la performance individuelle : sa quête devait imprégner toute la société. Que ce soit dans les services gouvernementaux, dans les entreprises, la médecine ou l’éducation, la médiocrité et la corruption étaient inacceptables. Pas de seconde chance en cas d’infraction, très peu de tolérance pour l’échec. In fine, Singapour acquit une réputation mondiale de performance collective exceptionnelle. Ce sentiment pouvait combler l’absence de religion, d’appartenance ethnique, de culture commune en soudant la population.
L’Etat providence est la forme suprême de la société civilisée
« Laissez aux insensés à disputer sur la forme du gouvernement. Le mieux administré est le meilleur » Alexander pape
En août 1950, au moment où Lee Kuan Yew retourna à Singapour après ses études supérieures en Angleterre. Deux problèmes majeurs persistaient notamment les difficultés de logement et la corruption. En effet, un tiers seulement des Singapouriens vivaient dans des conditions décentes et les nouvelles constructions étaient incapables de répondre aux besoins.
Les conditions de guerre avaient aggravé la corruption, que le régime britannique n’avait pas su endiguer. L’inflation impactait négativement le pouvoir d’achat des fonctionnaires, augmentant la tentation de réclamer des pots-de-vin.
Ainsi, Lee Kuan Yew décida de rattacher étroitement la prospérité économique individuelle au bien-être de l’Etat dans le but d’assurer la stabilité politique laquelle renforçait encore la croissance économique. L’instauration de la loi de prévention de la corruption, imposait de lourdes sanctions en cas de malversation à tous les échelons du gouvernement et engageait des procédures judiciaires contre ceux qui étaient soupçonné d’avoir accepté des pots-de-vin.
En 1984, Lee Kuan Yew a adopté sa célèbre mesure consistant à fixer les salaires de la fonction publique à 80% des rémunérations que versait le secteur privé pour des fonctions comparables. Les fonctionnaires gouvernementaux de Singapour devirent ainsi parmi les mieux rémunérés du monde. Le succès de la lutte contre la corruption reste la base morale du gouvernement (du PAP).
Héritage
« Je n’ai jamais été prisonnier d’une théorie. J’ai toujours été guidé par la raison et la réalité. L’épreuve de vérité à laquelle j’ai soumis toutes les théories et toutes les sciences étaient : est-ce que ça marche ? » Lee Kuan Yew
Ce qui caractérise l’homme d’Etat en dernière analyse est le discernement dont il fait preuve en parcourant « une route non tracée vers une destination inconnue ». L’idéal confucéen était d’être un « junzi », un homme de bien, « dévoué à son père et à sa mère, fidèle à son épouse, qui élève bien ses enfants et traite ses amis correctement », mais qui est avant tout « un bon et loyal citoyen de son empereur » Lee Kuan Yew souhaitait que son héritage inspire le progrès au lieu de le freiner : « La seule chose que je puisse faire, c’est veiller à laisser derrière moi des institutions bonnes, saines, propres et efficaces et un gouvernement qui sache ce qu’il a à faire ».
Source : Henry Kissinger « Leadership »