La fidélité est la quintessence des valeurs et des vertus. La fidélité à la pensée car on ne pense pas n’importe quoi, puisque penser n’importe quoi ce ne serait plus penser. La fidélité à la morale, la loi morale étant atemporelle, il s’agit d’obéir. La fidélité est soumise à la loi morale, non la loi morale à la fidélité. La fidélité dans le couple, repose sur l’amour et la durée. Il suppose donc la fidélité, puisque l’amour ne dure pas qu’à la condition de prolonger la passion par mémoire et volonté.
La fidélité n’est pas une valeur parmi d’autres, une vertu parmi d’autres : elle est ce par quoi, ce pour quoi il y a valeurs et vertus. Que serait la justice, sans la fidélité des justes ? La paix, sans la fidélité des pacifiques ? La liberté, sans la fidélité des esprits libres ? Et que vaudrait la vérité, même, sans la fidélité des véridiques ?
« Il ne s’agit pas d’être sublime, il suffit d’être fidèle et sérieux. » La fidélité est vertu de mémoire, et la mémoire elle-même comme vertu.
Nul ne se baigne deux fois dans le même fleuve, ni n’aime deux fois la même femme. Pascal : « il n’aime plus cette personne qu’il aimait il y a dix ans. Je crois bien : elle n’est plus la même ni lui non plus. Il était jeune et elle aussi ; elle est tout autre. Il l’aimerait peut-être encore telle qu’elle était alors. »
Selon Montaigne, le vrai fondement de l’identité personnelle : « Le fondement de mon être et de mon identité est purement moral : il se trouve dans la fidélité à la foi que je me suis jurée à moi-même. Je ne suis pas réellement le même qu’hier ; je ne suis le même que parce que je m’avoue le même, parce que je prends à mon compte un certain passé comme le mien, et parce que j’entends, dans l’avenir, reconnaître mon engagement présent comme toujours le mien. »
Fidélité à la pensée, la morale, le couple
On pourrait énumérer trois champs particuliers : la pensée, la morale, le couple. Qu’il y ait une fidélité de la pensée, c’est assez clair. On ne pense pas n’importe quoi, puisque penser n’importe quoi ce ne serait plus penser.
« Il ne faut pas confondre, disait Sartre, la dialectique et le papillotement des idées.
Toute pensée, observe Marcel Conche, « risque continuellement de se perdre si nous ne faisons l’effort de la garder. Il n’y a pas de pensée sans mémoire, sans lutte contre l’oubli et le risque d’oubli. »
La loi morale étant atemporelle, est toujours devant nous : il s’agit, non d’être fidèle, mais d’obéir. La fidélité est soumise à la loi morale, non la loi morale à la fidélité. Il s’agit simplement de ne pas confondre la raison, qui est fidélité au vrai, et la morale, qui est fidélité à la loi et à l’amour. Les deux peuvent aller de pair, bien sûr, et c’est ce que j’appelle l’esprit. Fidélité à la loi, fidélité à l’histoire, fidélité à la civilisation et aux lumières, fidélité à l’humanité de l’homme ! il s’agit de ne pas trahir ce que l’humanité a fait de soi, qui nous a faits.
La morale commence par la politesse ; elle continue – en changeant de nature – par la fidélité. On fait d’abord ce qui se fait ; puis on s’impose ce qui doit se faire. On respecte d’abord les bonnes manières, puis les bonnes actions. Les bonnes mœurs, puis la bonté elle-même. Fidélité à l’amour reçu, à l’exemple admiré, à la confiance manifestée, à l’exigence, à la patience, à l’impatience, à la loi… l’amour de la mère, la loi du père. Le devoir, l’interdit, le remords, la satisfaction d’avoir bien agi, la volonté de bien faire, le respect de l’autre… Tout cela « dépend au plus haut point de l’éducation », comme disait Spinoza.
« Nous voulons être les héritiers de toute la moralité antérieure, disait Nietzsche, nous n’entendons pas commencer sur de nouveaux frais. Toute notre action n’est que moralité en révolte contre sa forme antérieure. »
Fidélité, non à Dieu, mais à l’homme, et à l’esprit de l’homme (à l’humanité non comme fait biologique mais comme valeur culturelle). Toutes les barbaries de ce siècle se sont déchaînées au nom de l’avenir (le Reich de mille ans, les lendemains qui chantent, ou qui devaient chanter, du stalinisme…). Le barbare, c’est l’infidèle. Il n’y a pas de morale de l’avenir. Toute morale, comme toute culture, vient du passé. Il n’est de morale que fidèle.
Pour le couple : la vérité est une valeur plus haute que l’exclusivité. Fidélité n’est pas compassion. Ce sont deux vertus ? Sans doute, mais justement : elles sont deux. Ne pas faire souffrir est une chose ; ne pas trahir en est une autre, et c’est ce qu’on appelle la fidélité.
Le couple repose sur l’amour et la durée. Il suppose donc la fidélité, puisque l’amour ne dure pas qu’à la condition de prolonger la passion par mémoire et volonté. C’est ce que signifie le mariage sans doute, et que le divorce vient interrompre. Cette fidélité paraît précieuse, plus que l’autre, et plus essentielle au couple. Que l’amour s’apaise ou décline, c’est le plus probable toujours, et il est vain de s’en affliger. Mais que l’on se sépare ou que l’on continue de vivre ensemble, le couple ne restera un couple que par cette fidélité à l’amour reçu et donné, à l’amour partagé, et au souvenir volontaire et reconnaissant de cet amour.