Le sport est une allégorie de la vie, symbolisant la quête de l’excellence. Il ne s’agit pas de glorifier la performance ou la victoire, mais de donner le meilleur de soi-même, de progresser, de se dépasser au quotidien, sur le stade comme dans la vie. Ainsi, le triptyque esprit, âme, corps sont façonnés par le sport.
« Quand vous êtes dans le dur, personne d’autre ne va vous pousser. Il faut se persuader d’être capable de renverser des montagnes. Quand je rentre sur le terrain, je me dis toujours que je suis le meilleur, comme ça, tu ne te donnes pas de limite » Kylian Mbappé
Ces propos illustrent le rôle important de l’ego qui est un facteur inhérent à sa réussite. Ainsi, l’estime de soi permet de se surpasser pour avoir des chances d’être le meilleur. Cette démarche rappelle la théorie de la motivation de Vroom.
La théorie de la motivation de Vroom consiste à ce que l’individu doit croire que la tâche lui est réalisable pour qu’il y consacre des efforts. Cette théorie est appuyée par le psychothérapeute Carl Rogers en formulant le postulat que l’être humain a une tendance actualisante positive, où toute personne est animée par une volonté de s’actualiser positivement grâce à la sensation d’accomplissement et à l’activation du circuit de récompense.
La volonté de puissance nietzschéenne, est un concept philosophique désignant « l’essence le plus intime de l’être », où l’homme cherche l’accroissement de sa puissance et à l’existentialisme sartrien où les hommes sont « condamnés à être libres ». Lorsqu’aucun sens n’est donné à l’existence, l’homme saisit le caractère inéluctable de la quête d’un sens qu’il doit trouver par lui-même, ce qui suppose une approche volontariste : vouloir donner du sens, vouloir agir, vouloir s’élever.
Nous sommes nés pour l’action, depuis le paléolithique, pour bouger, chasser, cueillir, lutter, pas pour passer nos journées devant un bureau ou un écran.
Mens sana in corpore sano (« un esprit sain dans un corps sain »)
Le sport est une proxis dirait Aristote, plutôt qu’une poièsis : une pratique, plutôt qu’une création. Faire du sport si nous mettons de côté la compétition, c’est pratiquer une activité qui ne tend à aucune fin extérieure à elle-même, par conséquent, c’est une activité qui ne vise que sa propre réussite (eupraxia, dirait Aristote), le plaisir éventuel qu’elle procure et surtout le maintien, le développement des capacités de celui qui agit.
Qu’est ce que faire le sport ? C’est exercer une jouissance en acte (une activité), qui tend à manifester, maintenir ou augmenter cette même puissance d’agir qu’elle met en œuvre. Par exemple, mettre en œuvre sa puissance de courir (courir en acte), mais pour le maintenir ou l’augmenter (pour pouvoir courir plus tard aussi bien ou mieux), la manifester ou la mesurer (contre d’autres dans une compétition).
Le sport est une activité physique tendant à maintenir, développer, manifester ou mesurer les capacités qui la rendent possible, sans autre but que ce maintien, ce développement, cette manifestation ou cette mesure, sinon parfois le plaisir qui s’y ajoute ou qu’on y prend (le plaisir de la compétition, de la victoire ou d’une gratification quelconque).
Ainsi, le sport est un exercice physique à visée sanitaire, ludique, agonistique.
Le sport, phénomène de société
« Ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que nous la désirons, c’est inversement parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne » Spinoza
Le sport est un spectacle : il occupe une place importante dans nos médias. Être un philosophe matérialiste signifie ne pas mettre le corps plus haut que l’esprit ; c’est penser que l’esprit est une partie du corps, une fonction du corps, et assurément la plus haute.
Primat du corps, primauté de l’esprit. Le corps est objectivement plus important, puisque l’esprit en dépend ; mais l’esprit a plus de valeur puisqu’il n’est de valeur que pour lui. J’accorde davantage d’importance à la puissance de penser, d’aimer, de vouloir, c’est-à-dire à l’intelligence, au cœur, à la volonté, qu’à la puissance de courir, de sauter.
« Le désir est l’unique force motrice » Aristote
« Il n’y a pas d’espoir sans crainte » Spinoza
Désirer atteindre la cible, lorsqu’on vise, c’est désirer l’avenir, donc désirer ce qu’on n’a pas. C’est ce qu’on appelle une espérance, et il n’y a pas d’espoir sans crainte. Tant que j’espère atteindre la cible, je suis séparé du bonheur par l’espérance. La flèche n’est pas encore partie : qu’est-ce que je serais heureux, si elle avait déjà atteint la cible ! Qu’est-ce que j’ai peur de la rater ! Le sage lui n’espère pas atteindre la cible ; il veut seulement la viser bien.
C’est ce que les Orientaux appellent le détachement par rapport au fruit de l’acte. Ce qui importe, ce n’est pas le résultat de l’acte, pas le fruit de l’acte, comme disent les Orientaux, mais l’acte lui-même, sa qualité intrinsèque. Ce n’est pas le but, le skopos mais la fin, le télos. C’est là qu’il y a le plus d’épanouissement, de sérénité, de simplicité et sans doute aussi le plus d’efficacité.
Une éthique Aristocratique pour tout le monde
Le sport est le reflet de la société, et la société se projette dans le sport. L’idée de compétition, cette perpétuelle quête de la performance est un élément dominant de nos sociétés contemporaines.
Donner une place à une éthique aristocratique (fondée sur l’inégalité en fait et en valeur des êtres humains) dans un univers démocratique (fondé sur leur égalité en droits et en dignité) parait nécessaire et légitime.
Par ailleurs, on pourrait faire un parallèle entre le sport et l’économie. Dans l’économie aussi, il y a de la compétition, des rivalités, des rapports de force, et tout le monde ne peut pas gagner. C’est la loi du marché. C’est la loi de la concurrence. Le capitalisme n’est ni moral ni immoral ; il est résolument amoral. Ce qui signifie, ce n’est pas le plus vertueux qui gagne, ni le plus malhonnête mais celui qui a les meilleurs produits, les meilleurs vendeurs, le meilleur rapport qualité/prix… Celui qui est le plus compétitif. De même que le sport, dans une course, ce n’est pas l’individu le plus généreux qui va gagner, ni le plus intelligent, le plus honnête ou le plus méritant ; c’est celui qui court le plus vite. On retrouve ici l’élément à la fois amoral et négligeable du sport, donc aussi de l’économie.
Le foot est un sport imparfait, comme la vie, ce qui explique une partie de son succès
Citius, altius, fortius « Plus vite, plus haut, plus fort » Devise Olympique
La solidarité ne relève pas de la morale, et tous les être humains sont égaux en droit et en dignité. La convergence des intérêts, crée la solidarité. Vos coéquipiers ont le même intérêt que vous : la victoire, que vous ne pourrez remporter qu’ensemble.
Aider les enfants à comprendre que l’on n’aboutit à rien sans efforts, et qu’il n’y a pas d’efforts sans souffrance, c’est une bonne leçon.
A force de célébrer le sport, on finit par enfermer les jeunes gens dans un jeunisme nuisible, puisqu’on leur laisse croire qu’après trente-cinq ans, tout est foutu – ils n’iront pas plus vite, plus haut, plus fort. Si bien que la devise olympique revient à dire : « A trente-cinq ans, la vie est finie ». Ce qui est exactement contraire de la vérité. Les vraies devises seraient plutôt : « De plus en plus de liberté, d’égalité, de solidarité » C’est la devise de la politique. « De plus en plus d’amour, de générosité, de justice ». C’est la devise de l’éthique.
Source : André Comte-Sponville « Que le meilleur gagne ! »