Zhou Enlai (1898-1976)

« Lorsqu’une petite barque dérive dans le sillage d’un bateau lourd, l’équipage de celui-ci insulte vertement le passager de la barque. En revanche, si la barque est vide, les matelots se contenteront de l’éviter. Un souverain qui doit naviguer sur les eaux turbulentes de la politique doit d’abord apprendre à devenir « une barque vide » ». Cette métaphore chinoise est une référence à Zhuang Zi, figure du taoïsme. Zhou Enlai a fait de cette métaphore son mantra.

Zhou Enlai fut la seule icône de la révolution chinoise à avoir échappé aux purges maoïstes, à la Révolution culturelle, qui dura dix années durant (1966-1976). Celui qui fut pendant un quart de siècle Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la Chine.

Le 21 février 1972, Zhou Enlai, accueille à l’aéroport de la capitale chinoise, Richard Nixon ; premier président des Etats-Unis à se rendre à Pékin, et son conseiller diplomatique Henry Kissinger. Dès la victoire de Mao à la fin de l’année 1949, les Etats-Unis avaient rompu avec Pékin, ne reconnaissant la souveraineté chinoise qu’à Taipei, capitale de la république de Chine, encore appelée Taiwan, où les troupes nationalistes de Tchang Kai-chek s’étaient réfugiées après leur débâcle.

Depuis cette époque, les deux pays s’étaient même affrontés directement, pendant la guerre de Corée, et continuaient de le faire indirectement, sous la forme de livraisons d’armes chinoises au Nord-Vietnam.

Diplomatie du ping-pong

Le président américain Richard Nixon charge son conseiller à la sécurité nationale (il sera nommé secrétaire d’Etat en 1973) d’établir le contact. Henry Kissinger a recours à des intermédiaires, car les Etats-Unis et la Chine n’entretiennent pas de relations diplomatiques. Le Pakistan, allié à la fois de Pékin et des Etats-Unis ; la Roumanie, et son leader Ceausescu, qui disposent d’une relative autonomie diplomatique au sein du bloc soviétique ; et la France, en la personne de son vieil ami Jean Sainteny, ancien commissaire de la République pour le Tonkin et l’Annam, réputé entretenir de bonnes relations avec l’ambassade de Chine à Paris.

Henry Kissinger était considéré comme un lao pengyou, un de ces « vieux amis » compréhensifs de la Chine. Le 23 juillet 2023, à cent ans et pour sa centième visite au moins, le « diplomate de légende » était reçu par Xi Jinping à Diaoyutai, la villa où l’avait accueilli Zhou Enlai en 1971. C’est le 15 juillet de cette année-là que Nixon annonçait dans une allocution télévisée le rapprochement avec Pékin, surprenant les Soviétiques et les Nord-Vietnamiens.

Stratégie impériale chinoise « Se servir des Barbares pour contenir les Barbares »

La Chine ne supportait plus que la Russie joue les « parrains » du monde communiste et se sentait plus que jamais encerclé : par la Russie, par l’Inde et par l’Amérique, dont la 7ème flotte croisait au large du Vietnam.

Quant à Richard Nixon, idéologiquement anticommuniste, il développait une analyse parallèle mais un raisonnement inverse. Diviser le bloc communiste, c’était affaiblir l’URSS, et faire pression sur les négociations concernant le contrôle des armements nucléaires en cours.

Lorsque Zhou Enlai rencontre Henry Kissinger, cela se traduira une semaine plus tard par la publication du texte final stipulant qu’« aucun camp ne devrait chercher l’hégémonie dans la région Asie-Pacifique et que chacun est opposé aux efforts de tout autre pays (URSS) ou groupe de pays pour établir une telle hégémonie ». Les Etats-Unis font un effort vers la reconnaissance de la Chine communiste. Le « communiqué de Shanghai » est un triomphe diplomatique pour Zhou Enlai.

En Chine, « oublier la lutte », c’est ouvrir la porte au « révisionnisme », le plus terrible des anathèmes pour l’orthodoxie chinoise, équivalent à une peine de mort politique, puis physique. Le « Grand Timonier » a introduis un ancien maoïste dans l’arène politique en la personne de Deng Xiaoping, afin de troubler le jeu du Premier ministre Zhou Enlai. Cependant, ces deux hommes politiques scelleront une alliance sur ce qui les unissait notamment donner la priorité à la modernisation du pays.

Adage « prophétique » : « Le vent abat toujours l’arbre le plus haut » 

Le 8 janvier 1976, le Premier ministre chinois meurt. Quant à Mao, il mourra huit mois plus tard dans le parc Zhongnanhai (« mers Centrale et du Sud »), près de la Cité interdite. Deux ans après la mort des deux dirigeants, Deng Xiaoping, prendra les rênes de la Chine afin de lancer les « quatre modernisations » de la défense, de l’industrie, de l’agriculture et de la technologie.

Pour le sinologue belge, Simon Leys, Zhou Enlai fut « l’un des plus brillants comédiens de notre siècle », doté d’un « talent pour proférer des mensonges énormes avec une angélique suavité », « il donna un visage humain, très photogénique d’ailleurs, au communisme chinois ». Quant à son biographe Gao Wenqian « Aujourd’hui, Zhou Enlai est un héros quasi divin que les dirigeants chinois (…) placent sur un piédestal », parce qu’il est « la dernière icône encore honorable dans la galerie des dirigeants de la première génération du PCC ».

Par ailleurs, selon les experts, Zhou Enlai était assimilé à un caméléon de la politique, capable de montrer de la tolérance et de la souplesse quand il avait affaire à des personnalités courtoises libérales provenant de l’Occident ; il savait se mettre au diapason de chefs d’Etat haineux du tiers-monde ; il devenait cultivé et raffiné en présence d’artistes, pragmatique avec les pragmatiques, philosophique avec les philosophes et kissingérien avec Kissinger.

Doctrine Zhou Enlai

« Gouverner un vaste empire comme on cuit un petit poisson », telle est la doctrine Zhou Enlai. Cela signifie : diriger un pays avec méticulosité, mais aussi avec une vision ample. Cette citation est résumée lors d’un entretien avec Nasser en 1965 :

  1. « Il nous faut l’indépendance »
  2. « La seule et unique signification du mot indépendance, c’est que nous voulons être nos propres maîtres »
  3. « Si nous sommes nos propres maîtres, nous pouvons égaler l’Occident »
  4. « Si nous pouvons l’égaler, nous pouvons le surpasser. Quand nous pourrons faire cela, surpasser l’Occident, nous ramènerons vers l’Orient le centre de gravité du monde »

Zhou Enlai est à la fois Chef de la diplomatie chinoise, Premier ministre de la Chine, membre du bureau politique du PCC et de son comité permanent. Il devra ainsi faire preuve d’habileté pour épargner à la Chine de sombrer dans le chaos et la guerre civile, mais aussi sauver sa peau, entre un maître paranoïaque et les factions successives qui se disputent pour la conquête du pouvoir. 

Source : Hubert Vedrine « Les Grands Diplomates »

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