Brzezinski a approuvé l’élargissement de l’OTAN aux ex-membres du pacte de Varsovie. Ne l’ayant jamais regretté. Il n’en voulait pas pour l’Ukraine. Pour lui, il était inutile de provoquer la Russie, qui avait tant de liens religieux, culturels, linguistiques, familiaux, économiques, le rattachant à l’Ukraine. Brzezinski préconisait avant tout la neutralité. Les récents évènements lui ont donné raison avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.
Conseiller du président Jimmy Carter, de 1976 à 1980, il contribue à la normalisation des relations entre la Chine et les Etats-Unis ; à l’établissement de la paix entre l’Egypte et Israël ; à la conclusion d’un accord de désarmement nucléaire avec l’URSS et à l’apaisement des tensions entre Washington et l’Amérique centrale. Ces quatre années comptent dans l’histoire contemporaine des Etats-Unis.
D’origine polonaise, Brzezinski vient aux Etats-Unis en provenance des Etats-Unis. Il a acquis la nationalité américaine en 1958. En 1959, il devient professeur associé à l’université new-yorkaise Columbia. L’objet central de ses études s’articule autour de la Russie, et plus particulièrement l’Union soviétique.
Brzezinski, est aussi un fin stratège, théorisant la nécessité du leadership des Etats-Unis dans le monde d’aujourd’hui, post-guerre froide. La fin de la confrontation américano-soviétique n’épuise en rien le rôle de guide du monde libre qui doit être le leur, un modèle d’« hégémonie pluraliste, perméable et souple ». Ainsi, selon Brzezinski, malgré l’émergence dans le monde de nouveaux pôles de puissance, les Etats-Unis conservent, toujours une mission inhérente à leur force économique, à leur prépondérance militaire et à leur caractère démocratique.
Brzezinski « anticommuniste et croyant »
Brzezinski est né le 28 mars 1928 à Varsovie. Il est le fils d’un diplomate, Tadeusz Brzezinski. Sa mère, Leona Roman, appartient à l’aristocratie polonaise. Bachelier, il étudie les sciences politiques à l’université McGill et achève sa licence en écrivant un mémoire prémonitoire : La résistance et la vigueur du sentiment national dans les républiques de l’ensemble soviétique. Farouchement anticommuniste et croyant. Brzezinski voulait influencer le monde, façonner la politique étrangère américaine. Ainsi, c’est à New York, où se tient le Council on Foreign Relations, avec sa revue phare, ForeignAffairs. Brzezinski est sollicité par le Sénat comme par la CIA. De même, il rencontre à New York, le patron de la Chase Manhattan Bank, David Rockefeller.
David est l’un des héritiers d’une des plus grandes fortunes pétrolières du pays : son grand-père a créé la Standard Oil. Fidèle à la tradition familiale, David est aussi philanthrope et engagé dans la vie publique, côté démocrate. Tout comme l’un de ses frères, Nelson, ancien gouverneur de New York, brièvement vice-président (1974-1976), qui, lui, a choisi le Parti républicain. Kissinger conseilla Nelson ; David sera proche de Brzezinski.
En 1973, David Rockefeller et Brzezinski mettent en place la Commission trilatérale. Club politique et cercle d’étude, englobant l’environnement, politiques publiques, et la sécurité. La Trilatérale est destiné à consolider les relations entre les Etats-Unis, l’Europe et les élites du secteur privé, de l’université et de la politique, venues de l’Ancien Continent, de Tokyo ou de Washington. Par ailleurs, Brzezinski invite à la Trilatérale un gouverneur du nom de Jimmy Carter, avec lequel dix ans plus tard, ils intégreront la Maison-Blanche.
Ascension
Le couple Nixon-Kissinger ouvre la voie au couple Carter-Brzezinski. L’influence de Brzezinski ne se limite pas aux quatre années qu’il passe auprès du président Carter (1976-1980). Elle commence avant, au milieu des années 1960, quand, sous la présidence de Lyndon Johnson, il passe quelques années à la cellule de réflexion du département d’Etat.
Brzezinski pèse durant un demi-siècle sur la politique de son pays. Sa doctrine consiste à faire reculer l’URSS. Lors de la guerre froide, avec la théorie des dominos, qui consistait à ce qu’un point « occidental » cédé à l’URSS entrainât la chute d’un autre. Il en allait ainsi en Asie du Sud-Est, en particulier en Indochine, où les Etats-Unis ont pris le relais de la France défaite. Il faut défendre le Vietnam du Sud des attaques menées par le Vietnam du Nord communiste. En cette fin des années 1960, un demi-million de soldats américains sont engagés dans cette guerre. Le Sud est l’allié des Etats-Unis ; le Nord est soutenu par l’URSS ainsi que par la Chine de Mao.
La dissuasion nucléaire interdit la guerre conventionnelle en Europe, mais pas en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient ou en Amérique latine. Si le Vietnam du Sud tombe aux mains du Nord, un autre domino américain sera menacé dans la région et au-delà. Sur l’échiquier mondial de leur confrontation, les deux camps comptent leurs pions. L’intervention ici consiste à éviter la contagion ailleurs. Brzezinski et Kissinger croient fermement à cette théorie des dominos. Conséquence, l’un et l’autre soutiennent l’envoi massif de troupes décidé par le président démocrate Lyndon Johnson.
Dans la tourmente des années 1960, dominée par le conflit Est-Ouest, certains intellectuels européens pensent que les systèmes communiste et capitaliste finiront par converger. En 1964, Brzezinski publie un livre avec son collègue et ami Samuel Huntington intitulé Political Power : USA/USSR, pour démonter cette théorie de la convergence. Sous-estimant la singularité des expériences politiques, méconnaissant la force des cultures héritées de l’Histoire. Conclusion, la guerre froide ne disparaitra pas dans la convergence des systèmes.
Esprit à la curiosité polymorphe, Brzezinski s’intéresse à l’évolution macroéconomique du pays, notamment au poids de la technique sur la fabrique de la société. La vie internationale ne se limite pas aux rapports de force interétatiques. La posture extérieure d’un pays est aussi façonnée et conditionnée par son ingénierie intérieure.
En 1970-1971, Brzezinski publie un livre intitulé : Between Two Ages : America’s Role in the Technetronic Era. Nous vivons une époque profondément bouleversée par la vitesse des évolutions technologiques, époque qu’il appelle « technétronique ». La déstabilisation sociétale que traversent les Etats-Unis est le reflet d’une transformation en profondeur du pays : le passage d’une société industrielle à une société de services sous l’impact des progrès techniques.
Le pouvoir
Brzezinski plaidera sans relâche la cause des Palestiniens. Il dénonce systématiquement les implantations israéliennes dans les Territoires occupés. Washington doit parler au Fatah et au Hamas. Il faut aller vers la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël, avec, pour l’un et l’autre, des garanties de sécurité américaines. Plus tard, proche de Barack Obama, il critiquera ce dernier pour son manque de courage sur la question palestinienne.
La version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahiddines a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979. Cependant, la réalité est toute autre, le 3 juillet 1979, le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Ce jour-là, Brzezinski a écrit une lettre au président Carter lui expliquant que cette aide allait entrainer une intervention militaire des Soviétiques. Augmentant ainsi significativement, la probabilité que les Russes interviennent en Afghanistan.
En 1997, Brzezinski publie son fameux ouvrage « Le Grand Echiquier ». Posant comme fondement que l’avenir du monde réside dans le contrôle de l’Eurasie, une vaste zone allant de la Chine à l’ouest du continent européen. Dans cette zone, serait concentrée une bonne partie des richesses et de la population de la planète. D’où l’importance stratégique, pour les Etats-Unis, de leur alliance avec le Japon comme avec les Européens de l’Ouest, créant in fine, une double plateforme donnant aux Etats-Unis son droit de regard sur cet espace.
Saisissant la centralité de la question ukrainienne en Europe. En 2008, Brzezinski a décrit Poutine en ces termes « Le président russe est animé par une nostalgie impériale. Il éprouve un certain regret de la chute de l’URSS. Il aimerait récréer quelque chose qui ressemblerait à une sphère impériale d’influence dans l’espace de l’ex-URSS. Il ressent de l’amertume devant l’Ukraine qui voudrait rejoindre l’Occident et se considère comme faisant partie de l’Europe. Et c’est la même chose vis-à-vis de la Géorgie. »
Brzezinski préconisait un statut de neutralité à la suisse ou à l’autrichienne et un régime fédéral pour l’Ukraine. Lorsque la Russie a annexé la Crimée en 2014 puis armé et financé les sécessionnistes du Donbass, il a appelé à fournir massivement à Kiev les moyens de se défendre contre les agressions du Kremlin.
Source : Hubert Védrine « Les Grands Diplomates »