Vergennes (1719-1787)

Vergennes, secrétaire d’Etat chargé des Affaires étrangères de 1774 à 1787, est l’incarnation de la diplomatie. Grande figure de l’Ancien Régime est restée dans l’Histoire comme celui qui a mis fin à la guerre de Sept Ans en modifiant l’équilibre mondial en faveur de l’Angleterre, qui grâce au traité de Versailles de 1783, a replacé la France au centre de l’échiquier européen.

A la différence de beaucoup de diplomates de son époque, Vergennes est un véritable professionnel, qui a appris son métier dans de nombreux postes « bilatéraux », mais aussi dans des négociations multilatérales impliquant de nombreux interlocuteurs différents.

Son premier poste, en 1740, est celui de « gentilhomme d’ambassade » auprès de son oncle Chavigny, ambassadeur au Portugal. Au Portugal, malgré l’éloignement et un certain ennui, l’élève apprend du maître deux leçons. Quel que soit le poste, il faut développer une activité et une curiosité de tous les instants. Un négociateur doit être informé de tout et présent dans tous les milieux. Il apprend ainsi que tout vient de la cour. Il faut donc entretenir un réseau de contacts à Versailles.

En 1755, ses qualités le font nommer à trente-six ans ambassadeur à Constantinople, auprès de l’une des grandes puissances de l’époque qui est un allié historique de la France. Vergennes tire de ce premier grand poste une triple leçon. D’abord, une vision du monde.

Vergennes découvre aussi « le secret » de Louis XV, ce réseau parallèle d’information et d’action que le roi a créé en 1745 avec son cousin le prince de Conti pour appuyer sa candidature au trône de Pologne et que le comte de Broglie, ancien ambassadeur à Varsovie, dirige désormais. Il réunit une douzaine d’ambassadeurs « initiés » qui, en dehors des circuits officiels, entretiennent une correspondance directe avec le roi. C’est une sorte de franc-maçonnerie diplomatique qui donne un accès direct au souverain.

Début 1771, Vergennes est nommé ambassadeur à Stockholm. La Suède est un ancien allié de la France, la troisième « alliance de revers » avec celle de la Pologne et de l’Empire ottoman. Les actions combinées de Saint-Pétersbourg et de l’Angleterre ont réussi à l’éloigner de Versailles et à placer ce pays sous leur influence. Lors des négociations qu’il a menées lorsqu’il était en Allemagne au cours de la guerre de Sept ans, il a pu observer les conséquences catastrophiques de la déperdition des énergies dans des opérations menées simultanément sur terre et sur mer. Les hostilités ne doivent avoir que des points d’application limités et précis.

De la guerre couverte à la guerre ouverte

On peut distinguer trois phases. La première est une guerre « couverte » qui dure de 1775 à 1778. La France livre des fournitures et des armes en quantités considérables par des canaux secrets sans jamais déclarer les hostilités. La seconde étape du soutien français est celle d’une guerre ouverte qui dure de 1778 à 1783. Cette guerre n’est pas une promenade militaire. Elle devient vite un conflit difficile. Elle commence avec la signature d’un traité d’alliance franco-américain et d’un traité d’amitié et de commerce, signés en février 1778.

La troisième phase de la guerre d’indépendance est la négociation du traité de paix, laquelle se révélera presque aussi difficile que la conduite de la guerre. Elle va durer de 1781 à 1783. Vergennes va se révéler lors de cette période comme un excellent orateur. 

La politique de Vergennes avait besoin de temps pour porter ses fruits. D’abord surmonter les préjugés pour construire avec Londres une relation équilibrée et apaisée, ensuite récolter les effets du développement du commerce, enfin engranger les bénéfices d’une politique indirecte d’équilibre du Royaume-Uni en soutenant, en Orient, l’indépendance des princes indiens et en développant des liens étroits avec la nouvelle république américaine.

Or Vergennes meurt en 1787 au moment où Calonne échoue dans sa tentative de redressement. La France s’abîme dans ses crises intérieures sans tirer profit du vaste projet qui était celui de Vergennes. Comme plus tard le traité de Versailles de 1919 sera vidé de sa substance par les retraits américains et anglais, celui de 1783 l’est par le bouleversement révolutionnaire puis la défaite de l’Empire.

Le deuxième facteur concerne les moyens de la France. La France avait alors largement les moyens de payer la guerre. Le montant de la dette était en 1783 du même niveau qu’en 1713 lors du traité d’Utrecht. En 1784, la pression fiscale représentait en France la moitié de ce qu’elle était en Angleterre, et la richesse française le double de celle du Royaume-Uni. La véritable cause de la Révolution réside davantage dans l’incapacité des hommes d’Etat à faire les réformes nécessaires.

Le troisième facteur est de nature stratégique. Emmanuel Le Roy Ladurie comme Braudel ont vu dans la politique de Vergennes, qui a favorisé la naissance d’une nouvelle république d’envergure, la création d’un futur géant et « par avance les bases lointaines d’une hégémonie anglo-saxonne sur le monde ». Ce jugement très rétrospectif suppose que la France aurait dû laisser les deux adversaires, insurgentset métropole anglaise, s’épuiser dans une longue lutte et en profiter pour marquer des points en Europe et dans le monde.

Source : Hubert Védrine « Les Grands Diplomates »

Scroll to top